jeudi 12 mars 2009

Comment «Millénium» m'a envahie par Florence Aubenas

Au début, j'ai cru que c'était à cause de Blomkvist. Je me suis dit que je l'aimais. Ca m'a semblé banal, presque une aventure de bureau: je suis journaliste moi aussi. J'ai préféré cacher l'affaire. Le tome 1 de "Millénium" a commencé par rester soigneusement au fond de mon sac. Ce qui devait arriver arriva: une amie m'a surprise avec. Elle ne connaissait pas. J'ai dû lui avouer, pour Blomkvist.

Elle s'est mise à l'aimer, elle aussi. Moi, j'étais déjà passée à Lisbeth Salander et au tome 2. Blomkvist m'agaçait parfois, avec sa manière de s'atteler à de grandes enquêtes bien-pensantes. Lisbeth, elle, est une petite punk rachitique, un corps d'enfant, une force de superwoman, un féminisme brutal. Elle baise, elle cogne, elle pille. Avec elle, je voulais que ça dure. Je n'avais mis que quelques jours pour finir le tome 1. Je dis bien «jours», et pas «nuits». Je n'aurais jamais tenu jusqu'au soir: je lisais partout, debout dans les ascenseurs, pendant qu'on me parlait au téléphone. Ca faisait très longtemps que cela ne m'était pas arrivé, se retrouver envahie par un livre, tout en sachant très bien qu'il n'est pas - et loin de là - le meilleur de la bibliothèque. Alors, pour le tome 2, je voulais économiser les pages.

Assez vite, on a été une bonne dizaine d'amis à se passer «Millénium 1» et 2. C'était l'été dernier. On vivait avec, dedans. On ne parlait que d'eux. Certains avaient un faible pour cette femme, la vieille maîtresse de Blomkvist, qui est aussi sa patronne a «Millénium». Son nom ne me revient pas, il faudrait que je feuillette les livres, mais je ne les possède plus. A cette époque, dont je garde une inconsolable nostalgie, je ne pouvais pas voir quelqu'un sans lui donner mon «Millénium». Je ne me souviens plus combien de fois je les ai achetés.

Le tome 3 ne devait paraître qu'à la rentrée. Il n'était pas envisageable d'attendre. Nous avons pensé le pirater chez l'éditeur, en hommage à Lisbeth Salander. Moins noblement, j'ai fini par ramper devant le bureau de Marie-France, la spécialiste des polars à «l'Obs» pour qu'elle me prête les épreuves. Chaque matin, j'arrachais les 50 pages lues la veille, pour les mettre dans la boîte aux lettres de cette amie, qui à son tour... On aurait été incapables d'expliquer ce qui nous tenait à ce point. On en riait. On se répétait: comment est-ce possible? Même l'intrigue n'est pas si bien que ça!

Tout à la fin seulement, nous avons cherché à savoir qui était l'auteur. Pur calcul: on voulait le tome 4. On a réalisé que Stieg Larsson était mort. Il venait de rendre le dernier feuillet de la trilogie. Alors on a compris. Dans «Millénium», l'assassin, c'est le livre.

Florence Aubenas

Source: «le Nouvel Observateur» du 14 février 2008.


Voilà, il n'y a plus rien à dire, juste à lire !...

Je vous quitte, vous savez ce que je vais faire à présent ...

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